Wladimir et Jeanne
En décembre 2006, le Comité populaire de la province de Thua Tien Hué déplaçait l’ancien cimetière français de Hué (créé en 1985 par le duc de Courcy) à 13 km au sud de la ville, près du village de Thuy Phuong, pour permettre la construction d’un nouveau quartier à Phu Cam, son précédent emplacement.
Le travail patient de l’Ambassade de France à Hanoï a permis que les tombes fassent l’objet d’une intelligente restauration et d’un entretien décent, dans un cadre de verdure unique, au pied de la cordillère annamitique.
Au milieu de cette plaine des tombeaux, parmi les stèles portant les noms de personnalités françaises ou vietnamiennes inséparables de l’histoire de Hué, deux sépultures fleuries se signalent chacune par un portrait gravé dans la pierre : Wladimir et Jeanne ne regrettent pas de reposer ensemble dans ce cadre d’une surprenante sérénité, dans un pays qu’ils aiment, où ils ont réussi leur saga : celle des « Etablissements Morin Frères ». (P02 : Tombes de Wladimir et Jeanne dans le nouveau cimetière)
La volonté des directeurs vietnamiens de l’Hôtel Saïgon Morin d’être fidèles à la mémoire de leurs prédécesseurs et à la continuité historique de l’établissement est une preuve éclatante et sans doute inattendue de cette réussite.
Wladimir, pouvait refaire, maintenant rassuré, le singulier chemin qui avait mené le fils d’une famille pauvre du Jura à la tête de la première grande chaîne d’hôtels (on disait alors « comptoirs ») de l’Indochine. Il mesurait tout ce que sa fortune, dans les deux sens du terme, devait à la rencontre avec l’amour de sa vie : Jeanne Derobert.
Les débuts d’une saga
Tout avait commencé de la façon la plus classique : Arthur Morin et son frère, Aimé, s’étaient portés volontaires pour combattre au Tonkin à la fin du 19e siècle. Tous deux étaient les aînés d’une famille de sept enfants originaires de Mesnay, petit village proche d’Arbois dans le Jura.
A la fin de leur engagement dans l’Infanterie de Marine, les deux frères décident de se fixer dans ce nouveau pays “où tout est à faire”. Il faut dire qu’ils ont laissé en France une famille d’agriculteurs dans la misère, sans doute à la suite de la crise des vins du Jura, consécutive à la découverte du procédé de pasteurisation des vins du midi de la France. A la suite de la mort de leur mère, Arthur et Aimé décident de faire venir en Indochine leurs frères et sœurs. Ce furent d’abord Emile et Laure Morin, puis, en 1898, Wladimir et Amélie.
La famille se reconstitue dans les difficultés. Difficultés des incertitudes liées à la fin de la “conquête ”. Difficultés d’argent : les deux plus jeunes frères et les deux sœurs se font employer dans des maisons de commerce pour quelques piastres : à Haiphong, par les magasins Honoré Debeaux et à Hanoï par les magasins Godart, ancêtre de l’UCIA. Emile, agent de police à Hanoï, mettra ses quelques ressources au service des siens. De ces moments difficiles naît une solidarité familiale qui fera la force du groupe et restera l’un des traits marquants de la famille Morin, si prompte aux petites querelles internes mais toujours soudée lorsque l’un des siens se trouvait dans la peine ou dans le besoin.
Autres constantes qui expliqueront la réussite des Morin : l’acharnement au travail et le sens de l’accueil, remarqués par tous ceux qui les ont approchés. Ce sont des “ travailleurs acharnés plein d’entregent et de ténacité paysanne, qui ont bien mérité la prospérité qu’ils ont connue (…) leur établissement attirait beaucoup de monde, à cause de l’atmosphère de famille qu’on y trouvait et qui remplaçait pour les clients une autre ambiance chère. Pour ma part j’ai gardé un souvenir reconnaissant à ces braves gens pour leur accueil affectueux de tous les jours et les services de toutes sortes qu’ils m’ont rendus, j’entends de ces services qui viennent du cœur et qu’on n’acquitte pas avec de l’argent ” (Claude Bourrin – Choses et gens en Indochine – 1910).
En 1905, Emile, Wladimir et leurs deux sœurs rassemblent leurs ressources et viennent s’installer à Tourane (actuelle Da Nang) pour reprendre l’établissement de celui qu’on appelait amicalement le “père Gassier”, le long de la Rivière de Tourane. C’est à cette date que se constitue la “Société en nom collectif Morin Frères”.
Wladimir est au centre de cette première étape de la réussite, par ses qualités d’organisateur, de conciliateur et surtout par son sens inné des affaires.
Cette même année 1905 sera le point de départ de la deuxième étape de la réussite : Wladimir Morin fait la connaissance de Jeanne Derobert.
Wladimir rencontre Jeanne et la fortune
Wladimir avait fait la connaissance à Hué de Monsieur Derobert, industriel et « soyeux » de Lyon, marié avec une « Annamite » d’origine chinoise. Il va tomber éperdument amoureux de leur fille unique : Jeanne Pauline. Parallèlement, il semble qu’il ait reçu de M. Derobert, avant même le mariage avec Jeanne en 1914, un appui financier conséquent qui, ajouté au capital des Morin, permettra à la « tribu » d’acquérir, en moins de deux ans, le Grand Hôtel Guérin.
Ce bâtiment, à l’époque unique hôtel de Hué, avait été construit en 1901 par M. Bogaert, officier qui avait participé à la prise de Hué en 1885. Après sa démobilisation, Bogaert s’était lancé dans les affaires en achetant et en restaurant l’usine de tuiles et de briques de Long Tho, qui avait, pendant près de deux siècles, produit les matériaux nécessaires à la construction des palais et des tombeaux de Hué, de Gia Long à l’avènement de l’empereur Tu Duc.
M. Bogaert en fait rapidement une cimenterie moderne dont les bénéfices lui permettent de construire les bâtiments du premier « Grand Hôtel de Hué » dont M. Guérin se rend acquéreur en 1904. Les activités de A Guérin se concentrent alors sur l’hôtellerie et la vente, directe ou par correspondance, d’articles de consommation. Lors de son acquisition à la fin de 1906, le Grand Hôtel est déjà fréquenté par les personnalités et les rares Français de la capitale, comme les ingénieurs et techniciens qui travailleront à la construction des chemins de fer et de la gare de Hué. Mais ce qui impressionne, c’est le catalogue de VPC (Vente par correspondance) que Guérin avait mis au point. Les articles vont des armes et munitions de chasse aux vins et eaux minérales en passant par le foie gras, les bicyclettes, la Chappellerie, les chaussures, les ciments etc.
C’est donc une entreprise déjà florissante que Wladimir Morin rachète en 1906 (P03 portrait d’Alphonse Guérin) à M. Guérin, malgré les dégâts qu’avait subi le bâtiment principal lors du typhon de 1904. Wladimir et sa famille lui donneront une importance et une réputation telles qu’ils en feront un monument historique, inséparable de l’histoire de Hué.
Progressivement, les “Etablissements Morin-Frères” de Tourane et de Hué vont s’agrandir des hôtels Morin de Ba Na (station d’altitude à l’ouest de Da Nang), de Qui Nhon, de Nha Trang et de Bach Ma (station d’altitude à l’ouest de Huê). Le succès sera tel que les Morin vont acquérir petit à petit la quasi totalité des bâtiments européens de la ville : « Wladimir avait acheté en viager après la guerre de 1914, la plus grande partie des maisons européennes de Huê. Il les louait vides, ou meublées des meubles Morin que nous avons tous connus » (Mme Henri Cosserat).
A partir de 1930 et jusqu’au début de la guerre, on peut dire sans exagération que la quasi totalité des Français qui habitent Hué ou transitent par Hué pour aller rejoindre leur poste, sont hébergés par les Morin. (P04 H Morin en 1904 et P05 H Morin en 2004)
L’activité débordante de Wladimir ne l’a pas empêché de remplir ses devoirs militaires et de participer à la vie publique de la région : en 1914, il rentre en France après 18 ans de séjour ininterrompu, pour un repos mérité. Il se disposait à revenir à Huê lorsque la guerre éclate. Mobilisé le 2 août 1914, quelques jours après son mariage avec Jeanne, il est affecté en 1915 dans une compagnie de mitrailleuses, puis en juillet 1916 au 315ème Régiment d’Infanterie. Sa belle conduite devant Verdun lui vaudra la croix de guerre. Les lettres écrites par Jeanne à Wladimir, exposé au feu, témoignent de l’amour passionné qui les unissait
L’hôtel Morin, pôle de la vie coloniale de la cité impériale
Un emplacement privilégié
C’est un atout de taille : l’Hôtel est situé à un point clé de Huê, sur la rive droite de la Rivière des Parfums, à l’entrée du pont métallique qui relie la ville “ indigène ” à la Citadelle Impériale. Ce pont est le seul à l’époque. On ne pouvait traverser Huê sans l’emprunter et passer devant l’Hôtel Morin. Il avait été construit en 1899.
“Voici le pont aux arcades fines comme une dentelle, jeté comme un long couloir blanc à travers la nappe bleue du fleuve que ne froisse aucune ride. Il débouche en plan incliné entre le parc verdoyant de la Résidence Supérieure et l’unique hôtel européen de la ville ” (BAVH 1916/2 1916). Plusieurs fois débaptisé, le pont a porté d’abord le nom de “ Pont Thanh Thai ” de 1899 à 1907, puis de “ Pont Clemenceau ” jusqu’en 1945 et enfin, jusqu’en 1954 le nom de “ Nguyen Hong ” avant de reprendre jusqu’à aujourd’hui son nom populaire de “ Cau Truong Tien ” (littéralement : lieu où l’on fabrique des sapèques), en référence à l’ancien Hôtel des Monnaies Impériales qui se situait autrefois à l’emplacement de l’hôtel. (P06 Le pont Clemenceau en 1935)
L’Hôtel Morin trônait au milieu des bâtiments officiels et des centres de loisirs des Européens : la façade ouest donnait directement sur la Résidence Supérieure et ses jardins. Le Cercle sportif, la Banque de l’Indochine, les Travaux Publics et le Jardin de la Ville, étaient à deux pas. (P07 L’Hôtel Morin au centre de la vie coloniale de Hué – 1942)
L’ambition de satisfaire à tous les besoins vitaux de la population.
L’hôtel a beaucoup changé depuis 1905, et, avec lui, les services qu’il proposait. C’est après son retour de la guerre, en 1918, que Wladimir décide d’en faire une sorte de supermarché qui pourrait répondre à toutes les demandes. Le “ Comptoir Général d’articles de consommations ” de l’hôtel avait un slogan “ On peut naître dans un berceau Morin et mourir dans un cercueil Morin”.
Un des centres de la vie officielle de la Capitale Impériale.
On peut imaginer l’atmosphère qui régnait à l’hôtel entre les deux guerres : les notoriétés franco-« annamites » s’y retrouvaient à la fraîcheur du soir, devant un apéritif ou à l’occasion d’un de ces nombreux bals qui accompagnaient le passage d’un éminent visiteur. Sur son livre d’or malheureusement disparu, l’hôtel a enregistré d’illustres signatures : les maréchaux Joffre et Foch ; André Malraux ; Sylvain Lévy ; Léopold Cadière ; Pierre Pasquier ; Charly Chaplin, le Roi du Laos, Sisowath ; Louis Finot ; J.Y. Claeys ; le Général Catroux ; Paul Reynaud, etc. (P08 L’empereur Bao Dai accueilli par Wladimir en 1949)
L’hôtel Morin, lieu de culture.
– Culture populaire, avec le pittoresque Cinéma Morin, le premier de la ville. Il était situé à l’intérieur du bâtiment principal, à l’emplacement de l’actuelle salle de conférences. “ le cinéma allume, deux soirs par semaine, ses lampes et fait tourner ses pankas électriques au-dessus d’une foule d’indigènes, pour la plupart assis derrière l’écran, aux places les moins chères, d’où l’on voit la scène à l’envers ” (BAVH 1916/2).
– Culture “ savante ” : Wladimir Morin a apporté un concours désintéressé à des activités scientifiques ou culturelles touchant à la ville de Huê. C’est ainsi qu’il a aidé, dans des moments difficiles, l’Association des Amis du Vieux Huê dont il devint membre en 1920. Cette association qui fut la première Société savante franco-vietnamienne, réalisa, de 1914 à 1944, des études et des travaux sur les civilisations de l’ancien Viêt-nam qui font, aujourd’hui encore, autorité. Wladimir participa, en particulier, à ses actions de protection des sites de Huê et de ses environs.
Amélie Morin avait épousé le Médecin Major Albert Sallet, cheville ouvrière de l’AAVH, qui avait, à partir de cette date, élu domicile à l’Hôtel Morin lorsqu’il était à Huê. Il y entretenait un cercle de discussions très fréquenté par les savants de l’époque. Par ailleurs, l’hôtel était un des deux points de vente du légendaire Bulletin trimestriel des AVH. (P09 Albert Sallet et deux historiens dans son appartement de l’hôtel Morin de Hué)
Enfin, l’hôtel Morin abritait l’office de tourisme officiel de la région, correspondant du bureau du tourisme en Indochine. Il était donc le point de départ direct de visites et d’excursions. Ainsi, il organisait, dans les mois les plus chauds, les déplacements vers la montagne de Ba Na, station climatique à quelque soixante kilomètres de Huê bien connu des anciens d’Indochine. Les Morin y avaient construit un hôtel-chalet très fréquenté. (P10 Les pousse-pousse attendent les touristes américains du Franconia pour les conduire au Grand Hôtel Morin)
La disparition de Jeanne (1930) et de Wladimir (1943)
Jeanne meurt trop tôt en 1925, plongeant Wladimir dans un profond chagrin. Elle ne pourra voir grandir leurs quatre enfants : Henri, René, Aimée et Edmond. Ces derniers rentreront en France et seront pris en charge par Albert Sallet, son épouse Amélie et Laure Morin pour continuer leurs études à Toulouse (où Albert Sallet sera le premier conservateur du Musée asiatique Georges-Labit). Il se remaria après la mort de Jeanne avec Marcelle Fourel qui lui donnera un fils, Jacques.
Wladimir, séparé des siens (excepté de son frère Emile, directeur de l’hôtel de Tourane) se consacrera sans relâche à la bonne marche du Grand Hôtel de Hué et de ceux de Ba Na, Qui Nhon et Bach Ma. “ Sur le pont de 5 heures du matin à 10 heures du soir, donnant à tous ses employés l’exemple d’une activité méthodique à laquelle il joignait un esprit de prévision qui ne reculait pas devant les risques ” (Témoignage de M. Lafféranderie). (P11 H Morin de Tourane -1931) (P12 H Morin de Ba Na 1935)
Au cours de l’année 1942, sa santé se dégrade et il est affligé d’un mal incurable. Au tout début de 1943, « Sentant sa fin prochaine, le vieux pionnier dont l’Indochine était devenue la patrie définitive, fait un geste bien dans sa manière, et fort touchant ; il demande qu’on le mette dans un avion et que le pilote lui fasse revoir du haut des airs une ultime fois tout le pays qu’il avait aimé. Il s’éteint pour aller dormir sous les filaos du cimetière Français de Phu Cam » (Rapporté par Marcel Richard).
Sa disparition, le 30 janvier 1943 à l’âge de 64 ans, sera douloureusement ressentie par la population de Huê et la messe, célébrée par Monseigneur Lemasle, se déroula “ au milieu d’une affluence considérable. Toute la population française de Huê et de nombreux Annamites de Huê y assistaient, ainsi que des amis personnels venus de la Province ou des autres pays de l’Union ”.
Sa tombe et celle de Jeanne, alors séparées, seront réunies par les soins de l’Hôtel Saigon Morin, lors du déplacement du cimetière en 2006.
Le Grand Hôtel de Hué après Wladimir – Les heures tragiques
En 1943, les trois fils de Jeanne et de Wladimir : Henri, René et Edmond, respectivement Directeur général, Directeur adjoint et Directeur technique, reprennent la gestion du Grand Hôtel Morin de Hué, malgré les difficultés liées à l’occupation japonaise puis à la Guerre d’Indochine naissante.
Les frères feront courageusement le coup de feu pour défendre leurs biens pendant le « siège de Hué » du 20 décembre 1946 au 5 février 1947. L’Hôtel Morin constitue en effet l’un des camps retranchés où se sont regroupés les civils et militaires français, assiégés par les révolutionnaires vietnamiens. Lors de ces événements, des victimes seront enterrées à l’intérieur même de la cour de l’Hôtel, près du banian qui existe encore. L’hôtel sortira de cette bataille en partie détruit et brûlé. (P13 Tombes de civils français dans la cour de l’hôtel – Siège de Hué 1947)
“Le 20 décembre à 2h30 du matin, l’hôtel était attaqué par le hall d’information, certainement parce que le groupe électrogène de la radio militaire était installé dans les cuisines (…) les civils, du matin au soir, font des sacs de sable, barricadent l’hôtel avec les meubles. Il n’y a plus une glace debout, l’hôtel est ouvert à tous les vents. (…) Les chambres 21 à 36, 46 à 50 sont très abîmées. Les escaliers sont entièrement soufflés.(…) Dans la nuit du 3 janvier, la façade avant de l’hôtel a reçu 60 coups de canon 75. (…) Le 4 février, tout est démoli ; il ne reste que des pans de murs (…). (Témoignage de Mme Husson)
En juillet 1951, les Morin, représentés par Henri, Edmond et Marcelle Fourel, signent l’acte de vente de l’établissement, au profit d’un homme d’affaire vietnamien, mettant un terme à 44 années de gestion familiale. (P14 Direction et personnel de l’hôtel Morin – Hué – 1950)
Entre 1951 et 1995, le bâtiment traversera 47 ans de tribulations diverses, au cours desquelles il continuera à subir des dégradations dues au climat, à un manque d’entretien et surtout aux faits de guerre. Ainsi, en 1968, pendant « l’offensive du Têt », l’hôtel subira une fois encore de sérieux dégâts lors de la bataille de Hué, la plus longue et la plus sanglante de la guerre du Viêtnam (28 jours). (P15 Combats devants l’entrée de l’hôtel de Hué – 1968)
De 1957, date à laquelle il a été confisqué par le gouvernement du Sud Vietnam, à 1988, le bâtiment abritera l’Université de Hué. En 1989, confié aux bureaux du tourisme naissant de la province de Thua Thien Hué, il fait de nouveau office d’hôtel de seconde zone, ouvert aux routards et aux hippies.
L’histoire du Grand Hôtel de Wladimir et de Jeanne semble bien finie.
1995 : les débuts d’une renaissance et d’une reconnaissance inattendues
Au début des années 1990, les autorités de la province de Thua Thien, à la suite de l’ouverture du pays au commerce mondial (Doi Moi – Le «renouveau» depuis 1982), comprennent tout le profit qu’ils peuvent retirer d’une renaissance du tourisme dans l’ancienne Cité Impériale. Son inscription, en 1993, sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, fera très vite de la cité impériale l’un des centres touristiques les plus visités du Sud Est asiatique.
En 1995, l’entreprise Saïgon Tourism obtient le droit de reconstruire l’hôtel sur le même emplacement.
Au mois d’avril de la même année, un petit-fils d’Amélie Morin et d’Albert Sallet, représentant les deux familles, est accueilli par le directeur de Saïgon Tourism dans l’enceinte de l’hôtel en pleine reconstruction. Le dialogue qui se tient entre eux durant 3 jours décidera de la renaissance des liens entre l’ancienne et la nouvelle direction de l’hôtel, entre le passé et le présent de son histoire. (P16 1995 – Le petit-fils d’Albert Sallet rencontre le représentant de Saigon Tourisme) Les responsables des travaux tiendront compte des avis émis touchant à la sauvegarde de l’ancienne structure. Par ailleurs, ils accepteront de redonner à l’hôtel le nom de son fondateur, à un moment où le Vietnam n’était pas encore prêt à donner à des rues ou des bâtiments des noms en français (excepté ceux de médecins français bienfaiteurs de l’humanité – Yersin, Pasteur, Calmette).
La collaboration entre les représentants de l’ancien et du nouvel hôtel se consolidera les années suivantes, en particulier par trois événements :
– En 1998, installation d’un buste de Wladimir Morin en bronze, réalisé en 1997 par son petit-fils Bernard Morin (P17 1998 – Installation du buste du fondateur de l’hôtel)
– En 2001 Accueil officiel du dernier directeur de l’hôtel colonial : Edmond Morin, alors âgé de 79 ans, et de sa famille. (Voir photo en fin d’article)
En 2002 la Nouvelle Association des Amis du Vieux Hué confie à l’hôtel des photographies évoquant la vie des anciens hôtels Morin et les fastes du Hué du début du XXe siècle. Depuis, quelque 500 photos encadrées sont exposées dans tous les lieux de passage. Cette « exposition permanente » et le buste de Wladimir sont l’objet d’une attentive curiosité de la part des touristes qui s’y attardent avant de regagner leur chambre. (P18 Exposition permanente de 500 photos)
L’hôtel n’a pas regretté cette « réconciliation » puisque des milliers de francophones, et d’anciens d’Indochine ont choisi d’y être hébergés. Au demeurant, son succès commercial lui a permis de rajouter un étage au bâtiment, qui compte aujourd’hui quelque 180 chambres.
Jeanne et Wladimir ne pouvaient rêver mieux que cet heureux dénouement de leur vie, de leur amour et de leur oeuvre ; ils savaient la chance de voir leur mémoire respectée et leur nom sauvegardé, dans un pays qui sortait d’un demi siècle de guerre et de haine.
Non, ils ne regrettaient pas d’être enterrés côte à côte et de voir leurs tombes fleuries et entretenues par le nouvel hôtel : c’était tout à son honneur.
J.C. Nouvelle Association des Amis du Vieux Hué