Biographie succincte et éloge de Léopold Cadière

1 – Etapes essentielles de la vie de Léopold Cadière.

– 1869 – Naissance le 14 février dans la paroisse de Sainte Anne des Pinchinats, près d’Aix-en-Provence, d’une famille de modestes fermiers…/… Le prénom de Léopold fut « emprunté » au maître de la propriété. Ecole communale, puis école du quartier de la ville où ses parents viennent s’établir.

– 1880 – Collège Bourbon qui deviendra ensuite le Lycée Michelet. Le père de Léopold meurt. Petit puis Grand Séminaire d’Aix. Léopold Cadière s’enthousiasme pour les récits d’exploration et de voyage. Mais c’est dans la lecture des Annales de la Propagation de la Foi qu’il découvre sa vocation de missionnaire. Tout jeune, il souhaitait aller au Tibet et avait acheté une grammaire tibétaine. Entre au Séminaire des Missions Etrangères de Paris. Il est l’un des premiers séminaristes appelés à faire leur service militaire. Il l’accomplit à Marseille.

– 1892 – 24 septembre : ordonné prêtre à Paris.

– 1892 – 26 octobre : départ pour l’Indochine.

– 1892 – 3 décembre : débarque à Tourane.

– 1892 – 23 décembre : arrivée à Hué. Monseigneur Caspar, linguiste éminent, l’oriente vers les recherches Sur le langage, l’histoire et l’ethnologie religieuse.

– 1893 (janvier) à octobre 1895 : nommé professeur au Petit Séminaire d’An Ninh, près de Di Loan (Cua Tung) province de Quang Tri, région des « Terres Rouges ».

– 1894 (octobre) à septembre 1895 : enseigne la théologie dogmatique à Kim Long (Hué) au Grand Séminaire.

– 1895 (octobre) : affecté à la paroisse de Tam Toa (Quang Binh), voisin du « Mur de Dong Hoi » (sujet de son mémoire couronné par l’Institut de France – 1903 – et paru dans le BEFEO en 1906).

– 1896 à 1903 : affecté à la paroisse de Cu Lac (Quang Binh) dans la vallée de Ngon Son, champ d’action de ses travaux linguistiques. Il vécut le grand typhon de 1897 suivi d’une épouvantable famine. En 1901, il se rendit à Hong Kong pour y rétablir pendant 6 mois sa santé compromise.

– 1903 (juin) à 1904 : affecté à la paroisse de Bo Khe.

– 1904 à 1910 : Paroisse de Co Vuu (Quang Tri).

– 1910 : Doit repartir en France pour se reposer. Il y travaillera à rechercher dans divers instituts et bibliothèques d’Europe, pour le compte de l’EFEO, des documents relatifs au Viêt Nam et à connaître les nouvelles méthodes de recherches historiques. Sans doute pour se préparer à la réalisation d’un centre de recherches (indépendant de sa hiérarchie et de l’EFEO) à Hué.

– 1913 à 1918 : Aumônier de l’Ecole Pellerin de Hué tenue par les Frères des Ecoles Chrétiennes (voir AP0045). Création de l’AAVH en 1913, dont il sera l’animateur et le rédacteur principal (125 titres).

– 1918 : Nommé à la paroisse de Di Loan (Cua Tung) Province de Quang Tri (voir AP1235), l’une des plus anciennes et des plus prospères de l’Indochine. Le Père Cadière y accomplira d’étonnantes réalisations.

– 1928 à 1930 : A la suite d’une crise cardiaque, L. Cadière rentre en France pour se reposer à Aix-en-Provence.

– 1930 à 1945 (coup de force japonais) Retour à Di Loan.

– 1945 : Résidence forcée à la Procure de la Mission, au bord du Canal de Phu Cam (voir AP0734).

– 1946 (18/12) à 1953 : 7 ans de captivité à Vinh.

– 1953 (13 juin) : Léopold Cadière est libéré. Il revient à la procure des Missions à Hué.

– 1955 (6 juillet) : Mort de Léopold Cadière à 86 ans. Il est enterré au cimetière de la Mission à Phu Xuan, près de la Cathédrale de Phu Cam à Hué.

(Comité de Rédaction)

2 – Eloge de Léopold Cadière

Par : Georges Coedès, le RP. Lefas, Georges Condominas et le Chef du Gouvernement du Viêt Nam en 1955 :

Allocution de M. Georges Coedès au décès de Léopold Cadière.

 » Avec le RP. Léopold Cadière disparaît le doyen des Membres de l’Ecole Française d’Extrème-Orient, le dernier survivant de cette équipe de chercheurs qui, groupés autour de Louis Finot, le fondateur de l’Ecole, ont tant fait au début de ce siècle pour la connaissance des peuples de l’Indochine française, de leur histoire, de leurs monuments et de leurs moeurs.

Collaborateur du Bulletin de l’Ecole dès la première année de sa publication en 1901, nommé Correspondant de l’Ecole en 1903, puis Pensionnaire de 1918 à 1921, de nouveau Correspondant à partir de 1930 et enfin Membre d’honneur depuis 1948, le RP. Cadière a donné à l’Ecole les meilleurs de ses travaux, les plus originaux, ceux qui ont le plus contribué à fonder sa réputation.

Au cours de la célébration en 1942 du cinquantenaire de son arrivée en Indochine, le RP. Cadière, considérant ce demi-siècle passé au milieu des Vietnamiens, déclarait :

 » J’ai compris les Annamites parce que j’ai étudié ce qui les concerne. J’ai étudié leur langue, dès mon arrivée ici, et je continue à le faire à l’heure actuelle. J’ai étudié leurs croyances, leurs pratiques religieuses, leurs moeurs, leurs coutumes. J’ai étudié leur histoire. Ayant étudié et compris les Annamites, je les ai aimés. Je les ai aimés à cause de leur belle intelligence, de leur vivacité d’esprit. Je les ai aimés à cause de leurs vertus morales. Je les ai aimés à cause de leur caractère. Je les ai aimés enfin à cause de leurs malheurs. « 

Le Chef du Gouvernement du Viêt Nam à Mgr Urrutia, vicaire apostolique de Hué (1955), au décès de Léopold Cadière.

 » Je suis profondément affligé par la nouvelle du décès du Révérend Père Cadière, dont la vie. entière fut consacrée au bien de ce pays. Les oeuvres que le défunt a laissées, tant dans le domaine social et religieux que dans celui des Lettres et de la Linguistique, témoignent de son profond amour pour le peuple du Viêt Nam, qui saura garder de cet érudit et grand ami un souvenir impérissable. La disparition de cet éminent apôtre, qui n’a cessé, de son vivant, de se pencher sur mes compatriotes, est pour nous tous une grande perte. En cette douloureuse circonstance, je vous adresse, Monseigneur, l’expression de mes sincères regrets et de mes condoléances émues « 

RP. Lefas au décès de Léopold Cadière.

 » Puisse le souvenir du R. P. Léopold Cadière, en nous ramenant à cette tradition féconde, ranimer la flamme de l’Union dans la culture et dans l’amour, dont nous ne désespérons jamais. « 

Georges Condominas

 » Bien sûr, je ne prétends pas que tout ce qu’a écrit Léopold Cadière était parfait. On relève ça et là des tics d’époque : on échappe difficilement au milieu auquel on appartient, plus difficilement encore s’il s’agit d’une société coloniale ; celle-ci supporte mal l’éloge des indigènes et pas du tout les critiques de son action ou simplement de son comportement, surtout si l’on présente de solides arguments à l’appui de cet éloge ou de ces critiques. Dans un tel contexte, on appréciera d’autant plus l’ouverture d’esprit de notre auteur : il estimait que la confiance dont il était l’objet lui imposait de façon absolue de dire la vérité. On imagine mal aujourd’hui le courage qu’il fallait en 1912 pour présenter ce portrait du colonisateur dans la conscience du colonisé :

 » Pour l’indigène, nous sommes l’étranger, l’homme d’une autre race et d’une autre religion, nous sommes celui qui attaque ses dieux, le représentant d’une nation qui a asservi sa patrie, le compatriote d’administrateurs qui exigent des impôts détestés « 

(Témoignages rassemblés par le Comité de Rédaction)