LES PÉRÉGRINATIONS D’UN LIEU DE MÉMOIRE AU VIETNAM :

LA RESTAURATION DU « CIMETIÈRE des FRANÇAIS » À HUÉ

Jean Cousso, président de l’Association des Amis du Vieux Hué

Panorama du cimetière après réhabilitation

L’AAVH, sollicitée par l’Assemblée Nationale en 2012, a réhabilité les épitaphes du

Cimetière des Français de Hué, récemment déplacé depuis son site originel, près de la

Cathédrale de Phu Cam vers celui de Thuy Phuong, à une quinzaine de Km de Hué

UN CIMETIÈRE HISTORIQUE

Le cimetière de Phu Cam, créé en 1904, fut le premier et l’unique cimetière de civils européens dans la capitale impériale. Auparavant n’existaient à Hué, depuis 1885, que des cimetières militaires. Situé derrière la cathédrale de Phu Cam, le cimetière civil renfermait les tombes de fonctionnaires et de commerçants français auxquelles s’étaient ajoutées des stèles rapportées d’autres cimetières abandonnés contenant les restes des premiers Européens installés en Annam.

Ce « Cimetière des Français » portait bien son nom : les inscriptions apposées sur les tombes de deux communautés écrivaient l’histoire des Français de Hué, de la tombe de Geoffroy de Forsans, compagnon de l’Evêque d’Adran mandaté par Louis XVI avec les « Français au Service de Gia Long » pour réinstaller la dynastie des Nguyen, à celle de Maurice Graffeuil, Résident Supérieur en Annam de 1934 à 1940, en passant par Wladimir Morin, fondateur de l’hôtel Morin en 1901 ou le plus modeste Tran Dinh Hanh, « Inspecteur de la Sûreté mort pour la France en 1946 victime du devoir » et tant d’autres.

Beaucoup de militaires morts pour la France, vietnamiens et français, avaient été enterrés à la hâte dans ce cimetière civil pendant les tourmentes du coup d’état japonais (1945), du siège de Hué (fin 1946, début 1947) ou de la guerre d’Indochine, parfois avec la simple mention d’un nom ou d’un numéro de matricule.

Le cimetière de Phu Cam n’avait pas subi le sort des cimetières militaires, dont les corps ont été rapatriés à Fréjus il y a quelques années (accord franco-vietnamien de 1986). La raison de cette exception tient sans doute au fait que le périmètre de la cathédrale, sa procure et le cimetière attenant étaient sous l’autorité d’un Délégué Apostolique représentant le Vatican. Son caractère d’extraterritorialité l’a donc préservé d’une « première » exhumation.

LES ETAPES D’UNE INTERVENTION :

L’Association des Amis du Vieux Huée sollicitée par l’Assemblée Nationale

de réhabiliter les épitaphes du cimetière

2006 : transfert réussi du cimetière

Depuis 1954, le cimetière était pratiquement à l’abandon, non entretenu et envahi de végétation, au point que les tombes étaient méconnaissables.

Au début des années 90, l’Ambassade de Hanoï, relayant des initiatives privées, tentait avec difficulté de faire nettoyer le cimetière… peine perdue ! La végétation reprenait le dessus ; le lieu était devenu un centre de combats de coqs ! Au demeurant, les autorités de Hué souhaitaient récupérer le terrain pour y construire des habitations, sous la pression immobilière d’une ville dont la population s’agrandissait très vite.

En 2006, grâce à la ténacité du Professeur Lapierre et de M. Chau Trong Ngo, représentant l’AAVH à Hué, il était transféré vers la plaine des tombeaux du village de Thuy Phuong, à 14 km au sud-ouest de Hué.

L’Ambassade de France – qui a subventionné l’ouvrage – et les autorités de la province, avaient trouvé là, après des années de pourparlers, un site idéal de sérénité dans un cadre majestueux au pied de la chaîne annamitique. Les stèles en pierre de taille et l’alignement parfait des tombes font de l’ensemble une réussite. On peut parler de « renaissance ».

Oui Mais…

Extrait in texto de la lettre reçue en juin 2009 de notre représentant à Hué, M. Ngo :

« …/…au nom de l’AAVH vous pouvez poser le problème très urgent aux autorités françaises en vue de faire graver l’identité sur chaque stèle, avec l’aide du côté vietnamien à Hué, bien sûr. Je m’inquiète beaucoup sur ce problème. Si on laisse prolonger ce mauvais état du Nouveau Cimetière, peut-être il y aura un jour où l’on peut dire que les identités des défunts enterrés au cimetière sont égarées, ce qui mène à un devenir déchirant : « Tombeaux des inconnus ». En attendant votre urgente intervention, je vous prie de croire…. »

Que s’est-il passé en 3 ans pour que les stèles de ce cimetière rénové soient devenues des « Tombeaux des inconnus » ?

Malheureusement, par excès de confiance, aucun des représentants de l’ambassade n’est intervenu sur place en temps utile pour s’assurer du bon déroulement de 3 opérations essentielles :

– transfert de la totalité des tombes, accompagnées des épitaphes correspondantes.

– Contrôle et vérification du libellé en bon français des noms, titres et dates portés sur les épitaphes. Plus de la moitié sont à « déchiffrer » :

-Enfin, trouver une entreprise locale sérieuse qui utilise une peinture de qualité durable. La dernière intervention de peinture demandée par l’Ambassade en octobre dernier sur les inscriptions n’a pas tenu 4 mois !

Question écrite à l’Assemblée Nationale – Réponse du Ministère des Affaires Etrangères

En septembre 2009, lors d’une assemblée générale, l’AAVH décide d’intervenir… mais sous quelle forme ? Jean-Pierre Ducrest membre de notre association, Vice-Président de l’AFAO et administrateur de AROM, a l’excellente idée d’alerter Madame Aurillac députée de Paris.

Extraits de la question N° 62353 posée au Ministère des Affaires Etrangères et Européennes par Mme Aurillac, le 27 octobre 2009 :

« Mme Martine Aurillac attire l’attention de Mr le ministre des Affaires étrangères et européennes sur l’état du nouveau cimetière français de Hué au Vietnam où les restes de nos compatriotes précédemment inhumés au chevet de la cathédrale de Phu Cam ont été transférés, fin 2006, en exécution d’un accord franco-vietnamien. Si le nouveau cimetière, situé à 12 kilomètres de la ville, paraît bien entretenu, les stèles de marbre affectées à chaque tombe voient leurs inscriptions rapidement disparaître. …/…. Les visiteurs ont de plus en plus de difficulté à identifier la tombe de leur ancêtre.…/…. La réhabilitation des inscriptions est d’une urgente nécessite. L’association des Amis du Vieux Hué qui rassemble de nombreuses familles concernées est prête à y contribuer. »

Le ministère répond positivement et promet le soutien des autorités françaises.

Une mission longue et délicate pour l’Association des Amis du Vieux Hué

Au mois de février dernier, le responsable de l’AAVH se rend sur le site du cimetière. Aidé de M. Ngo et du personnel de l’hôtel Morin, il rassemble données et informations et rédige un rapport à l’adresse de madame Aurillac proposant au M.A.E. une solution qui permet de réhabiliter les inscriptions et de parachever l’ouvrage commencé, assortie d’un devis chiffré.

Dans ce même rapport, l’AAVH propose de reconstituer, grâce aux documents qu’elle a collectés et qu’elle seule possède, l’essentiel des épitaphes dans le but de faire réaliser par des artisans sérieux de nouvelles plaques en février 2012.

En réponse, Mme Aurillac recommande à l’AAVH de faire, dans les meilleurs délais, les démarches nécessaires auprès des autorités concernées et annonce qu’une subvention sera demandée dans le cadre des crédits qui seront alloués à la fin de l’année 2011 à l’Ambassade de France à Hanoï pour l’exercice 2012. 

Une année de recherche pour retrouver le texte de 343 épitaphes

L’AAVH devra rétablir, d’ici février 2012, le libellé de chaque nom, de chaque titre et de chaque date à partir de diverses sources :

– Photographie de chacune des plaques des 343 tombes (chaque photo est identifiée par un nom de fichier permettant de resituer exactement la tombe sur le plan fourni par les autorités) – Recherche des familles ou descendants en France – Recherche à travers les extraits de baptêmes des églises de Hué (1922 à 1955) et de Da Nang-Tourane (1887-1954) dont l’AAVH possède l’intégralité des copies dans ses archives – Recherche dans le fichier des adhérents de l’ancienne AAVH (1914-1944) dont la nouvelle AAVH possède la liste etc.

Par cette mission revendiquée par l’AAVH, s’accomplit un devoir de mémoire exemplaire : le cimetière de Thuy Phuong reste le seul cimetière français existant au centre Vietnam. Avec un privilège unique : soubassements, pierres tombales et stèles sont entièrement neufs.

Il suffirait d’un budget bien modeste en regard du coût du transfert lui-même pour qu’il reprenne tout son sens, le travail de recherche des inscriptions étant réalisé bénévolement.

Encore faut-il que nos représentants qui se déclarent « soucieux du devoir de mémoire dû aux défunts français …/… accordent une attention particulière à la demande présentée par une honorable parlementaire » (J.O. – 19/10/2010 )

Jean Cousso – Massillargues, mai 2011

Vue de l’ancien cimetière à l’abandon

(Photo AAVH – 1998)

Exemple de plaque avant et après restauration par l’AAVH

Plaque avant restauration

Plaque neuve et corrigée

IMAGES DU CIMETIERE REHABILITE

Vue générale du nouveau cimetière

(Photo AAVH)