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Quand un médecin d’occident : Albert Sallet,
parle d’un grand médecin d’Extrême-Orient : Le Huu Trac
Par Yvelines Feray, écrivain (Extrait du Bulletin de la NAAVH – N°5 – 2000)
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Les pays d’Asie ont élaboré des médecines fort anciennes, originales et complexes, dotées de riches pharmacopées. Après les avoir négligées, ou occultées, au nom d’un progrès prétendument inéluctable, l’Europe depuis deux décennies les redécouvre. Leurs acquisitions : acupuncture, yoga, qi qong (maîtrise de l’énergie), médications végétales etc. suscitent l’intérêt grandissant des praticiens, des personnes en quête de thérapeutiques alternatives et des grands groupes pharmaceutiques.
Aujourd’hui, un nombre croissant de chercheurs abordent l’étude de ces médecines traditionnelles d’Asie avec de nouvelles problématiques en intégrant les dimensions culturelles, sociologiques, économiques ou politiques qui fondent leur raison d’être, et leur diversité régionale (notamment dans l’identification des drogues, les techniques diagnostiques ou le recours préférentiel à certaines thérapies).
Mais ces chercheurs, que ce soit dans la tradition de l’orientalisme classique, ou dans la perspective d’une application utilitaire et pratique, ont eu de nombreux devanciers, quelques-uns illustres : le docteur Albert Sallet, médecin et savant, fut l’un d’eux. Le premier sans doute à appréhender la médecine sino-viêtnamienne*– on disait alors sino-annamite – non comme un système monolithique, exotique et complètement dépassé face à la bio – médecine moderne, mais dans la foisonnante diversité de ses techniques diagnostiques et de ses potentialités curatives.
En témoignent ses études, travaux et publications sur la médecine sino-annamite, dont rend compte l’inventaire du Fonds Sallet, établi par son petit-fils, Jean Cousso.
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*la médecine traditionnelle viêtnamienne a deux composantes : la médecine du Sud, ensemble de traditions populaires transmis oralement et n’employant que des produits viêtnamiens et la médecine du nord, dite sino-viêtnamienne, système savant transmis par des livres rédigés en caractères et s’inspirant de la médecine chinoise.
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AAVH AP0351 Sallet – Annam, 1931 – Petites armoires à pharmacie traditionnelles (région de Hoian)
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Albert Sallet, l’Annam et l’officine sino-annamite
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En écoutant Mme Françoise Fanget (petite fille d’Albert Sallet) évoquer voici un instant le parcours indochinois de son grand-père (de 1903 à 1930) médecin du Service de Santé de la Marine et des Colonies, devenu très vite ce qu’on appelle un “distingué annamitisant”, membre correspondant de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, il apparaît clairement qu’entre Albert Sallet et cet Annam, dont il maîtrisait aussi bien la langue littéraire que populaire, connaissait l’histoire et la culture, avait étudié les pratiques thérapeutiques et la pharmacopée, tout devait être comme disent les Viêtnamiens, une affaire de cœur, de rencontre prédestinée.
Sans rien savoir d’Albert Sallet, de sa vie, de ses engagements, la seule lecture de “L’officine sino-annamite en Annam”* suffirait à nous en convaincre. Sentiment fort, s’enracinant dans l’exigence d’une démarche scientifique elle-même soutenue par l’immense faculté d’accueil qu’exige la connaissance de l’autre et de ses différences essentielles.
Cet important ouvrage sur l’étude scientifique “des pharmacopées chinoise et annamite ” fut commandé en 1925 par le Gouvernement général et par la Résidence supérieure de l’Annam au Dr Sallet dans le contexte colonial de l’époque à des fins scientifiques certes mais également pédagogiques (en direction des médicastres et apothicaires asiatiques et de leurs procédés empiriques) et économiques (médecine traditionnelle populaire à moindre coût).
Cette recherche s’inscrivait naturellement dans la continuité de nombreux travaux menés sur les matières médicales d’Annam, ceux de Loureiro, de Mgr Taberd, de Dumoutier, du Dr. Regnault, du Père Souvignet, de Perrot et Hurrier, de Crevost et Pételot.
« Mais, écrit, le Dr Gaide, inspecteur général des services sanitaires et médicaux de l’Indochine, dans sa préface à l’ouvrage en 1930, le travail du docteur Sallet marque un effort plus considérable qui sera très
heureusement utilisé pour des études ultérieures ayant pour but de reconnaître les principes de tous ces produits médicinaux… Travail qui dépasse longuement la tâche pour laquelle j’avais sollicité sa compétence”. Un tel résultat trouve sa justification dans cette rencontre avec le pays d’Annam – du scientifique – médecin et botaniste – de l’homme de terrain ayant vécu de longues années au contact des populations indigènes, connaissant leur langue, leur culture et leur mentalité, et de l’homme d’ouverture, dirait-on aujourd’hui. Sur la conduite de sa recherche, le Dr Sallet d’ailleurs s’explique :
“Dans le cours de ce travail sur la pharmacopée sino-annamite, j’ai tenu à me dégager le plus possible des documentations européennes. J’ai agi ainsi, non pas témérairement, mais pour tenter une œuvre neuve et indépendante s’appuyant uniquement sur les données de l’enseignement de Chine et d’Annam par les livres et par la fréquentation de médecins des deux pays “.
Il fait sienne cette citation du Dr Bouffard, in Annales de médecine et d’hygiène coloniales, 1930 :
“Il ne faut pas faire fi de la thérapeutique et de la pharmacopée chinoises dans lesquelles il y a beaucoup à glaner quand on pourra étudier cette riche flore médicale et apprécier ce que l’expérience de milliers d’années a fait connaître aux médecins indigènes”.
C’est dans cette démarche à proprement parler segalenienne d’ouverture, de disponibilité, d’accueil, étant entendu que “l’étude médicale sino-annamite comprend ici tout un monde“, qu’Albert Sallet conduisit sa recherche.
“L’officine sino-annamite…” présente, observe, analyse jusque dans les moindres détails le médecin d’Annam dans sa science des drogues, justifiant de son titre habituel de “Maître des Médecines“, puisque le médecin est également le préparateur des drogues qu’il prescrit. :
L’auteur y étudie : – la formation généralement familiale des médecins initiés à la préparation de médecines dites secrets de famille, aux recettes jalousement gardées. – la boutique d’un médecin d’Annam, le matériel nécessaire aux préparations médicinales, de la table naviculaire du broyeur en passant par les marmites, pots, instruments divers jusqu’aux balances, les petites pesées étant évaluées par le balancement des doigts avec une surprenante habileté. – la délivrance des médicaments, leur approvisionnement, la rédaction des ordonnances etc.
A sa suite, nous nous engageons dans ce monde mobile et mystérieux que nous offrent les pharmacopées sino-annamites et leur élaboration complexe selon la hiérarchie des médicaments et leur interaction. Certains ayant une action réciproque, d’autres des répugnances au feu, au métal etc. d’autres des incompatibilités (médecines de crainte ou plus encore médecines hostiles – c’est-à-dire susceptibles de causer des dommages) d’autres enfin agissant comme médicaments ambassadeurs (capables de faciliter la pénétration de certains remèdes et de renforcer leur action).
Bref, nous pénétrons tous les arcanes d’une diététique médicale et l’inventaire de ses interdits (aliments salés dans les maladies de sang par exemple), avant d’aborder dans les copieuses Notes additionnelles : ce qui touche à la cosmologie chinoise, au Yi K’ing, aux origines de la médecine, aux coutumes et croyances et à la numérologie (influence des nombres, 7 pour l’homme, 9 pour la femme ; aux rituels des récoltes de herbes médicinales et de leurs préparations, en passant par une classification de tous les remèdes dits curieux ou insolites pour ne citer que les drogues de voleurs (drogues anesthésiantes) .”Bloc des thérapeutiques, écrit A. Sallet qu’il faut prendre avec les détails de ses coins d’ombre et de ses étrangetés, par l’apport superstitieux des croyances obscures et des mythes de conjuration ».
Notes additionnelles qui traitent également de la responsabilité médicale en Annam, du simple particulier à la personne de l’empereur (Code Gia-Long prolongeant le Code des Lê, réglant les charges des médecins du palais, véritable collège de médecins royaux sous Minh Mang) et recense jusqu’aux proverbes : “Médecin, guéris-toi toi-même !” – “Vraiment, il faut mieux soigner dix hommes qu’une femme, dix femmes qu’un enfant et dix enfants qu’un vieillard!”.
Richesse foisonnante de cet ouvrage qui devait être un de mes ouvrages de prédilection et de référence pendant l’élaboration du roman que voici qui paraîtra le 17 avril prochain aux Editions Robert Laffont ayant pour personnage l’illustre médecin viêtnamien du XVIIIème s., le Maître des Médecines Lê Huu Trac dit Lan-Ong “Monsieur le Paresseux” (c’est-à-dire celui qui a des loisirs – parce qu’il répugne à tout effort en vue de rechercher les vanités de ce monde – pour s’adonner à la paresse)
Au Dr Albert Sallet (personne n’y était mieux préparé) revient le mérite d’avoir fait connaître en France ce grand médecin viêtnamien, l’originalité de son esprit et sa vaste encyclopédie médicale (que les médecins actuels consultent et citent avec foi, écrit-il).
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Le Dr. Albert Sallet et le Maître des médecines du XVIIIème siècle :
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Lê Huu Trac (Han Tuong Lan-Ong)
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